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TOP10 - Texte en français: FR008

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Mon père a quatre-vingt dix sept ans et demi. Le demi à beaucoup d’importance quand on est tout petit ou quand on est très âgé. Il ne sait pas que je concours. Il ne sait donc pas que je vais parler de lui. De lui et de ses camarades venus entre 1939 et 1940 pour aider la France lors de la guerre. De lui et de sa famille. J ai découvert son histoire il y a cinq ans. Alors adolescente, je n’avais osé qu’une fois lui demandé, pourquoi du Viêt-Nam, il était venu en France. Sa seule réponse avait été : « C’était la guerre ». J’ai depuis appris beaucoup… Il s’est livré à moi. A déposé son cœur et son âme dans le creux d’une main. Il s’est dit avec des mots simples, des sourires et même des rires parfois. Il a pris soin de me donner les détails, des dates, les lieux. J’apprendrais plus tard que malgré son grand âge, sa mémoire était juste et précise.



Il y a deux ans de cela, je saisissais une opportunité d’aller apprendre le laque au Viet Nam.

Mon professeur était à Hué, entre les deux familles de mon père. En fait, je parlais toujours de « la famille de mon père » . Cette famille si loin de moi, si loin de la France : au Viet Nam. Mon père pourtant m’avait donné les noms et prénoms de chacun sans que je puisse toujours mettre un visage ou m’en souvenir. Il y avait bien des photos mais les prénoms étaient si difficiles parfois à prononcer et donc à retenir... Il nous parlait des uns et des autres, ceux du Nord, ceux de Sud. Une aventure se préparait. Une destinée se profilait. Une autre route s’ouvrait à moi. Je ne le savais pas encore…


Après deux mois d’apprentissage, je décidais de partir vers Ho Chi Minh City. C’est à quelques kilomètres de cette grande métropole que je rencontrais une partie de mes origines.

J’ai fait la connaissance de Ven alors bien malade et de ses enfants : mes cousins et mes cousines. J’ai été prise en main par la petite de la famille : Dung, âgée de dix ans. Elle m’a de suite emmenée à la Pagode puis au cimetière. Sans que l’on se comprenne, elle m’a expliqué : ici le mari de Ven, sa grand-mère. Ici le papa de Ven. C’est Dung qui m’a appris mes premiers mots en vietnamien : aller à la douche, venir manger, aller se coucher. Quand on dessinait, elle m’apprenait les couleurs. J’ai parlé souvent avec Dung sans qu’elle ne parle le français, ni moi le vietnamien. C’est au Viet Nam que j’ai découvert une autre communication avec des gestes, des mimiques, des dessins, dans des éclats de rire parfois indescriptibles ! J’ai pu constater les différences de coutumes entre la France et le Viet Nam à maintes reprises. Là-bas on laisse les enfants chanter et jouer auprès d’un mourant. On joue aux cartes près de lui. On se relaie nuit et jour auprès de lui. On dort près de lui ou avec lui. Il vit avec tous les membres de sa famille jusqu’à son dernier souffle. C’est l’absence de l’oubli de celui qui a été.


Et puis il m’a fallu partir. J’ai traversé le Viet Nam pour remonter jusqu’à Hanoi. J’ai rencontré celle que j’appelle ma famille de cœur. Dans ce foyer il y a Madame Toai. C’ est la femme d’un ancien Travailleur Indochinois comme mon père le fut. Elle est douce et calme. Elle travaille sans relâche toute la journée et cuisine à merveille. Sa fille Huong m’a fait la surprise un soir de me montrer les albums photos de son défunt père quand il était en France. Quelles merveilles n’y avait-il pas ! Des photos des camps. Des photos des fêtes dans les camps. Des photos de lui avec d’autres compatriotes avec au verso des noms et des adresses, des matricules. Un trésor ! Relation faite entre mon père et eux. Relation concrète enfin pour moi. Je sais ce qui me lie à eux… C’est l’absence de l’oubli de celui qui n’est plus…


L’année dernière j’ai décidé d’aller à la rencontre des Travailleurs Indochinois restés au Viet Nam. Ils ne sont plus très nombreux. Mais il y a leur descendance. Il y a ceux qui doivent connaître l’histoire de leur père. Il y a encore des veuves. C’est à Hoi An, aidé de mon ami et guide-interprète Ai, que j’ai fait la connaissance de Muoi, de la veuve de Vi, ainsi que d’autres enfants de Travailleurs Indochinois. Aux alentours on a cherché d’autres enfants, aidés par les premiers retrouvés. Tout ne fut pas sans mal pour Ai qui devait expliquer à chaque fois pourquoi cette quête. Mais quelle fête à chaque rencontre ! Quels moments uniques remplis de souvenirs et d’émotion.

C’est Ai qui m’a conduite à travers champs pour les rencontrer. C’est Ai qui m’a vu pleurer quand nous avons fait une pause et que j’ai vu ces paysans avec leurs buffles. Mon père gardait ces animaux étant petit. Je n’ai compris qu’il y a peu de temps cette photo retrouvée des années 80 au Viet Nam : papa avec un chapeau conique, tenant la corde attachée aux naseaux d’un buffle. C’était sans compter, pour lui, l’absence de l’oubli…


A HCMC la rencontre de Tap et Thanh a été aussi un ravissement ! Tap n’avait pas parlé français depuis 1952. Au bout d’une heure il me parlait dans un français plus que correct. Il a évoqué ses souvenirs, nous avons beaucoup ri. Parce qu’il y a quelque chose qui m’a impressionnée chez les Vietnamiens, moi qui pensais que c’était la façon d’être de mon père seulement. C’est cette faculté de parler de choses tristes et tantôt douloureuses avec le sourire et parfois même avec des éclats de rire. C’est cette aptitude à aller de l’avant. C’est cette disposition à voir le bon côté des choses. C’est ce discernement à tirer des leçons des erreurs.


Papa est né dans un tout petit village près d’Haiphong, à Giang Khau. Cette année, j’ai voulu retrouver vingt quatre familles de Travailleurs. Vingt quatre familles dont j’avais les dossiers et dont le père ou le grand-père était parti en même temps que mon père. Ce sont mes cousins Vuong et Du qui ont permis cette fabuleuse entreprise.

Dossiers étalés sur la table du salon, on a commencé à trier par villages. J’ai eu la surprise d’apprendre qu’un des Travailleurs était un de mes oncles : Chuyen. Mon cousin Vuong était donc comme moi un enfant d’un de ces hommes venus en France. J’ai compris alors son vouloir m’aider. J’ai saisi son implication dans cette démarche. Et des jours durant nous avons, en scooter, ( il dirait « moto » ), parcouru les chemins des villages voisins. Parfois allant jusqu’à 25 kilomètres de Giang Khau pour retrouver les familles. Vuong était plein de fougue. C’est sans freiner un seul moment que nous avons chevauché sa « moto » sur les chemins caillouteux. Moi faisant des bonds derrière lui, me cramponnant à lui. Lui qui riait si fort de me voir ainsi et qui lançait des : « Vite ! Vite ! ». Lui comme moi nous moquant de la pluie battante. Nous moquant de la chaleur et de la moiteur.


La maison de Du deviendra par la suite un véritable QG. En effet, du village était partie l’information de mes recherches. Et des enfants de Travailleurs se présentaient chez Du spontanément. C’est ainsi que quelques fois, à trois reprises pour dire vrai, en rentrant le soir, ils nous attendaient. Un espoir non dissimulé dans leur regard pour savoir si entre mes mains j’avais LE dossier.

C’est avec une grande joie que nous avons été accueillis par les familles. C’est parfois des mains qui se sont accrochées aux miennes jusqu’à les porter sur leur coeur. Ce sont des enfants de soixante-dix ans qui ont pleuré devant moi en me disant des mots que je n’avais pas besoin de comprendre pour en saisir le sens. Ce sont des gens qui n’avaient rien que du maïs bouilli qui ont voulu partager leur repas avec nous. Ce sont des enfants à qui nous apportions la seule photo qui manquait : leur père sur l’autel des ancêtres. Elle était le symbole de l’absence de l’oubli…


C’est le dix-huit septembre dernier qu’à Giang Khau j’ai réuni avec l’aide de Vuong et de Lan, guide-interprète, les vingt quatre familles retrouvées. Nous avons discuté et mangé ensemble. Ils avaient beaucoup de questions à poser sur la venue de leur père ou grand-père en France. Il n’y avait plus de frustrations de langage pour moi, Lan traduisait au fur et à mesure. J’ai essayé avec tout ce que Joel Pham, autre enfant de Travailleur m’a appris, de transmettre. Et je leur ai demandé de faire connaître l’histoire autour d’eux. Nous avons passé ensemble une belle journée et avons promis de nous retrouver tous les ans à la même date.


C’est à Hanoi que j’ai rencontré Tieu, un enfant de soixante-quinze ans qui recherchait son père en France. Le hasard a voulu que je retrouve ses deux sœurs il y a quelques années en Belgique. Leur papa était dans le même camps que mon père à Angers. J’ai pu remarquer que les enfants du Viet Nam que j’ai rencontrés ont eu connaissance d’un frère ou d’une sœur en France. D’une autre famille que leur papa a eue.

C’est aussi là que j’ai pris conscience de l’importance que les morts ont au Viet Nam, puisqu’il est prêt à venir en France pour se recueillir sur la tombe de son papa.

Au Viet Nam on ne « perd » pas ses morts par manque d’argent d’une reprise de concession au cimetière. Ils sont sur l’autel où l’on vient tous les jours se recueillir quelques instant. Ils sont dans les jardins. Ils sont dans les champs. Ils sont dans les rizières. Ils sont partout et pour toujours. Ils sont là ! Ils symbolisent l’absence de l’oubli…

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