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TOP10 - Texte en français: FR007

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La fille du médecin de l’hôpital Grall

Photos-souvenirs de Saigon



Avant-propos


Nous avons tous une histoire familiale. Plus ou moins bien connue, parce qu’il reste des traces, des souvenirs. Au lycée, il y avait une matière baptisée « Travaux personnels encadrés ». A l’époque, je pensais que cet exercice scolaire m’imposerait des cadres si contraignants que je ne pourrais aborder aucun sujet personnel. En réalité, cette matière recelait une incroyable liberté tant dans le choix du sujet que dans son traitement. J’avais choisi de révéler l’histoire de ma famille, certains souvenirs enfouis, qu’il me paraissait urgent de dévoiler avant la disparition des plus anciens. Je me représentais cette connaissance du passé comme une condition sine qua non à mon passage à l’âge adulte. J’étais loin de me douter que cette recherche personnelle me rendrait plus intime avec ma grand-mère et avec sa ville d’adoption, Saigon.


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Petite, je m’imaginais reporter, correspondante de guerre pour de grands quotidiens français, avec ma sacoche en cuir de vachette en bandoulière et mon appareil photo Leica, à gros zoom amovible, comme Norman Lewis, dans la tourmente des conflits qui secouaient l’Indochine. Casse-cou, un coup d’Etat ou une révolution éveillaient mon désir de ces terrains violentés. La radio me permettait de déployer à loisir mon imagination débordante. Et puis, l’intrépidité enfantine s’est tarie. Au correspondant de guerre s’est substitué le diplomate. Sans l’avoir calculé, j’emboitais le pas à mes arrière-grands-parents, qui, avant de s’installer à

Saigon, avaient séjourné à Saint-Louis du Sénégal (De 2010 à 2012, j’ai été Volontaire internationale à l’Ambassade de France au Sénégal).



Au mois d’août 2015, je voyageais pour la première fois au Vietnam, pendant un mois, de Lao Cai, à la frontière chinoise, au delta du Mékong. J’avais trente ans. Je restais une semaine à Saigon sur les traces de Jeannette et d’Annie, ma grand-mère et sa sœur. Il y a dix ans, les deux sœurs m’avaient confié, par écrit, quelques souvenirs choisis de leur enfance à Saigon. Sur la vie en Cochinchine, les souvenirs des deux femmes divergeaient tout à fait : ma grand-tante a toujours gardé une certaine nostalgie de son enfance. Elle aimait voyager en Asie contrairement à ma grand-mère qui a toujours refusé d’y remettre les pieds. Sur place, je retrouvais certaines ambiances, certains souvenirs évoqués.


Je décidais de rapporter à ma grand-mère plusieurs images de Saigon qui ne ressemblait plus vraiment à la ville qu’elle avait connue enfant.




Des briques rouges / photo n°1


Saigon 1935. Les vingt-six jours de voyage en mer sont plutôt agréables. Le courrier de France quitte les eaux bleu-vert de la mer de Chine avant de remonter la rivière de Saigon aux eaux chargées de limon. Il croise des sampans avec des bateliers aux chapeaux coniques et aux vêtements en loque. A perte de vue, une plaine spongieuse, plate. Enfin, la flèche d’une église ocre rouge, la cathédrale de Saigon.


Août 2015. Mon voyage dure 2 jours avec une escale à Shanghai, cela me parait interminable... Quitter Paris, monter dans un avion, transiter par un aéroport, attendre l’avion de longues heures, arriver dans une ville inconnue. C’est certain : le voyage avait moins de charme qu’au milieu des années 30. Ces grands aéroports se ressemblent tous, aseptisés.


Je décidais d’avoir comme livre de chevet le récit de voyage de Norman Lewis, La Nuit du Dragon (LEWIS, Norman, La Nuit du Dragon, Editions Philippe Picquier, Réédition 2004). Le journaliste avait voyagé au Vietnam en 1949, en pleine guerre d’Indochine. La cathédrale était pour lui « une simple petite cathédrale construite de briques rouges ». Sur ma photo, l’édifice a survécu au temps, aux conflits, à l’urbanisme débordant. Mais ses petites briques rouges et ses ouvertures à arcades font aujourd’hui face à une modernité de verre, de goudron et d’acier. Il fait bon se promener dans ce quartier ombragé, à deux pas de la poste centrale, édifice de l’époque coloniale faisant l’attraction des touristes, toute de jaune vêtue, où trône un portrait d’Hô Chi Minh.





Ville-parc, Ville-chantier / photo n°2


Saigon, la belle ville blanche aux larges avenues se coupant à angle droit, aux trottoirs plantés de flamboyants, sortes d’albizzias à fleurs rouges, a laissé place à une grande mégalopole plantée de gratte-ciels d’habitations et d’hôtels internationaux à plusieurs étoiles : Pullman, Intercontinental, Sofitel, Hyatt, Novotel, … Du bar de la tour Bitexco, je prends une photo de cet urbanisme anarchique, incroyablement dense. Ce n’est plus cette ville-parc avec hibiscus et frangipaniers aux fleurs blanches et jaunes très parfumées, cette « petite ville provinciale française […] étriquée sur une langue du delta de la mer de Chine méridionale » décrite par Lewis. Le fleuve est toujours intrigant, de couleur vaseuse, sur lequel flotte des branchages verdoyants. Il est sillonné de barques colorées, d’un bleu souvent pétillant et coiffées d’un toit protecteur en tôle. Son allure est identique à celle décrite par Marguerite Duras, dans L’Amant (DURAS, Marguerite, L’Amant, Les Editions de Minuit, 1997) , autre référence évocatrice de souvenirs : « C’est donc pendant la traversée d’un bras du Mékong sur le bac qui est entre Vinhlong et Sadec dans la grande plaine de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des Oiseaux. »


Le premier contact de Jeannette avec Saigon fut pénible. Elle y arriva en avril, époque de l’année particulièrement torride, avant que n’éclatent les pluies torrentielles de la mousson d’été. Elle fut surprise par la chaleur lourde et l’humidité du pays. Comme elle, je me souviens aussi de ce soleil brûlant occasionnant des « coups de bambou », du paludisme endémique nécessitant la prise de malarone, à l’époque de quinine. L’air conditionné proposé dans les guesthouses, moyennant finance, a remplacé les moustiquaires. Les rues sont animées d’une circulation dense et rapide. Les cyclo-pousses ont laissé place aux motos et voitures qui n’en finissent pas de klaxonner pour s’imposer dans ce tourbillon infernal. Le piéton réfléchit à deux fois avant de traverser la voie. La ville-parc est devenue une ville-chantier en constante évolution où des grues immenses s’étirent dans le ciel.





Le culte des anciens / photo n°3


Au gré de mes déambulations, je m’aperçois, comme Lewis, que les Vietnamiens vivent dans la rue, dans les parcs, en public. « La rue est le prolongement de la maison, écrit- il, et il n’existe pas de frontière définitive les séparant ». Les Vietnamiens sont des lève-tôt et des couche-tard. Dès cinq heures du matin, séance de gym, de Qi Gong dans les parcs. Dans ce bar de nuit, pas de place à l’intérieur où la famille vit. Les portraits des défunts trônent dans la pièce principale, l’encens se consume. Des offrandes sont disposées devant chaque photographie. Dehors, assise sur une petite chaise en plastique, je sens l’odeur de l’alcool mêlée à celle des encens enivrants. Plusieurs générations se côtoient. La grand-mère revêt son pyjama tout en s’éventant. Tard dans la nuit, elle jette un regard sur son petit-fils assurant le service en terrasse.





Soupe aux nouilles au marché central / photo n°4


Ma grand-mère se souvient d’odeurs déplaisantes surtout celle puissante et pénétrante du nuoc-mam, une saumure de poissons assaisonnant tous les plats vietnamiens et qui évoque le garum des Romains. Dans les rues, les crachats répugnants du bétel, sorte de plante toxique donnant un suc rougeâtre. La plus forte odeur est à la tombée de la nuit, quand les vendeurs ambulants de poissons séchés sillonnent les voies. Des dizaines de squelettes de poissons fixés sur un vélo, le chapeau conique dans le dos. Au marché central de Saigon, je traverse des allées étriquées de vêtements, de bibelots « made in China ». Puis, les allées de fruits imprégnés de Durian, cet énorme fruit à l’odeur nauséabonde, et les nombreux stands où se ravitailler et se désaltérer de jus de fruits frais. Les vendeurs déjeunent sur place des soupes de nouilles pimentées.



Tragédie sans photo


Si j’ai pu recueillir certains souvenirs de ma grand-mère, il y a un pan entier de sa vie que je ne pourrai jamais vraiment saisir. Sa vie au Vietnam a été interrompue par des événements tragiques. Début 1945 les premiers bombardements sur Saïgon, pratiqués par des forteresses volantes, à très haute altitude, provoquèrent des hécatombes. Le 7 février, dans la matinée, les bombes tombèrent sur l’hôpital Grall. Jean Clec’h, son père, qui était alors à son poste dans la pharmacie de l’hôpital, fut mortellement blessé. Il devait décéder le lendemain. Yvonne et ses deux filles furent évacuées à Dalat à 200 kilomètres de Saigon. Toutes les écoles de la ville avaient fermé, les bombardements étant devenus si fréquents qu’il était impossible de continuer la classe.


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Epilogue


Un jour, alors qu’il faisait le voyage en train de Saigon à Hanoï, Jean s’était assis à côté d’un officier japonais qui portait une épée. Il voulut en connaître la raison. Cet officier lui dit que l’arme avait été bénie par l’empereur et qu’il ne s’en séparait jamais. Si on la lui volait il devrait se faire « hara-kiri », c’est-à-dire s’ouvrir le ventre.


C’est le seul souvenir de son père que se plait à raconter ma grand-mère. Etrangement, cette petite femme a conservé des traits asiatiques, avance à petits pas, trainant ses savates usées par le temps. Elle se tient courbée comme de nombreuses grands-mères que j’ai croisées là-bas, d’anciennes travailleuses des rizières.


Elle conserve précieusement ma recherche familiale et observe avec curiosité les photos de mon voyage se plaisant à les commenter. A chaque visite, j’aime passer quelques minutes à ses côtés pour partager les souvenirs de son passé.



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