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Top 10 - Texte en français: FR014

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Ma rencontre avec les libellules




Il fait chaud, lourd et humide. Il est à peine huit heures du matin. Je viens d’atterrir à Hanoi mais je m’apprête à reprendre un avion pour descendre dans le sud, direction Hô-Chi-Minh Ville, la première étape de mon voyage. Cette chaleur m’enthousiasme et me rassure tout à la fois : j’y perçois comme l’étreinte chaleureuse de ma terre d’origine venue m’accueillir tandis que j’effectue là mon premier voyage au Vietnam.


______



Longtemps, je n’avais de ma culture d’origine que des intuitions. Mes parents, tous deux vietnamiens, me parlaient peu du pays de leur enfance et de la vie qu’ils avaient menée là-bas avant de venir s’installer définitivement ici, en France. S’ils en parlaient, c’était avec nostalgie ou amertume. On ne célébrait pas les fêtes traditionnelles, on ne voyageait pas là-bas non plus. Dans mon quotidien, le Vietnam n’était évoqué que par bribes, et je laissais mon imagination combler les vides. J’avais le sentiment que c’était un lieu dont il ne fallait pas s’approcher, non pas parce qu’il était dangereux mais parce que tout simplement, il n’en valait pas la peine. Ainsi, j’avais fini par concevoir mon pays d’origine comme un lieu bien mystérieux, fort lointain, presqu’irréel.


Ce n’est que bien plus tard, en apprenant la langue de mes parents et en étudiant l’histoire et la culture de leur pays natal à l’université, que je me suis construite petit à petit une identité de « việt kiều » – de fille d’immigrés vietnamiens. Je me réjouissais de constater que ce que j’apprenais à l’université faisait écho à mon propre vécu, et je commençai peu à peu à discerner ce que cela pouvait signifier que d’ « être vietnamien ». Ces études avaient éveillé ma curiosité et, bien au-delà des bancs de l’université, je décidai par la suite de saisir chaque opportunité qui se présentait à moi pour en découvrir davantage. Pourtant, paradoxalement, c’est en m’immergeant vraiment dans la culture vietnamienne que j’ai commencé à m’y sentir étrangère. De fait, j’étais vietnamienne : c’est ce que disaient mon nom, les traits de mon visage, l’histoire de mes parents. Mais au plus profond de moi, en dépit de mes efforts, je ne me sentais pas vietnamienne. J’apprenais le vietnamien comme une langue étrangère et je découvrais le Vietnam comme si c’était le pays de quelqu’un d’autre. Bien sûr, j’étais née en France, mais je côtoyais d’autres việt kiều et je ne me reconnaissais pas non plus en eux.


J’avais vécu toute ma vie loin de mes racines, si loin qu’à présent, elles en étaient devenues impénétrables. Cette situation me rendait amère et la méconnaissance de mes origines nourrissait mon mépris. Découragée, je me retrouvai finalement coincée entre deux rives sans parvenir à étouffer le sentiment ambivalent, mêlé de dédain et d’attachement, que j’éprouvais pour ma terre d’origine.


Alors, lorsque se présenta enfin l’occasion pour moi de partir au Vietnam, j’hésitai à franchir le pas. A ce moment-là, mon découragement avait pris le dessus sur l’affection que je portais à mes racines, tandis que dans le même temps, la peur de l’inconnu s’emparait soudain de moi. Je repoussai pendant un moment ma décision. J’étais à deux doigts de renoncer quand je me résolus finalement à partir. Pendant cinq ans, j’avais fait sa connaissance de loin ; mais c’était comme si je passais chaque jour devant la vitrine d’un magasin sans jamais oser y mettre les pieds. Il fallait que je pousse la porte et que je voie le Vietnam de mes propres yeux.


Enfin j’étais déterminée à parcourir les milliers de kilomètres qui nous séparaient pour en faire l’expérience. Et ce, malgré la peur que m’inspirait ce grand saut dans l’inconnu…


Voilà donc l’état d’esprit dans lequel je me trouvais au moment où, à tout juste vingt-cinq ans, je débarquai enfin dans le pays de mes origines…



* * *



Aujourd’hui, il ne me reste de ce premier voyage qu’un enchevêtrement de sensations et de souvenirs, souvent de toutes petites choses insignifiantes qui, mises bout à bout, ont néanmoins constitué l’épilogue de mon étrange aventure.



Mon Vietnam a la teinte de la mer et du ciel bleus de Nha Trang, du vert sombre des montagnes brumeuses de Dalat, des lumières colorées de Saigon dans la nuit noire, du vert des rizières qui contraste avec le gris du ciel du petit village de Cổ Bì (Situé dans le district de Bình Giang, dans la province de Hải Dương). Mon Vietnam respire la senteur des fleurs, l’encens des pagodes, le parfum des fruits, les soupes préparées à même le trottoir. Dans mon Vietnam résonnent les klaxons des scooters et des voitures dans les rues de Saigon, les musiques à la mode, américaines, chinoises, coréennes, tandis qu’au loin, dans un petit village reculé à mi-chemin entre la capitale et la baie d’Halong, on entend le chant du coq à toute heure de la journée et la pluie qui tombe drue. Mon Vietnam a la même saveur que les plats cuisinés par mes parents ; il a aussi le goût des herbes aromatiques et des fruits si atypiques que je ne connaissais pas encore ou que j’ai redécouverts, ainsi que de l’alcool de riz dont on s’enivre à toute occasion en s’écriant « Chúc súc khỏe ! » (L’équivalent du « A ta santé ! » français) ou « Uống xong bắt tay biết ngay Việt Nam » (Littéralement « Boire, se serrer la main et tout de suite connaître le Vietnam »). Enfin, mon Vietnam, ce sont ses routes goudronnées, ses chemins de terre, de pierre ou de sable que j’ai parcourus à pieds, les eaux chaudes de Vũng Tàu au contact de ma peau, la proximité de l’autre quand on roule à moto, et puis… les libellules.



J’ai parfois été surprise par l’ingéniosité des Vietnamiens, d’autres fois, désespérée par leur malhonnêteté ou leur manque de savoir-vivre. Je suis souvent restée perplexe devant leurs choix vestimentaires ou leur goût immodéré pour le mélange des couleurs vives et le kitsch.


J’ai savouré leur cuisine et leurs fruits, l’un comme l’autre d’une diversité impressionnante. J’ai souri devant leur insouciance, qui transparaissait à la survenue de chaque imprévu. J’ai regretté qu’ils jouent de leurs charmes pour plaire aux touristes ; j’ai déploré qu’ils prennent partis dans certains musées, et par la même, qu’ils perdent de vue l’essentiel. J’ai été touchée par leur hospitalité, que ce soit leur prévenance quotidienne ou la ferveur avec laquelle ils refusaient que je paye le taxi ou l’addition. J’ai ri d’avoir fait marcher si longtemps des Saïgonnais qui d’habitude ne se déplacent qu’à moto.




Et puis, j’avais toujours soif d’aventures et je laissais volontiers mes pas me guider vers de nouvelles découvertes – un paysage singulier, une rencontre éphémère, une expérience culinaire. Je goûtais ainsi avec enthousiasme même ce qu’il y avait de plus insolite, que ce soient des tranches de mangue saupoudrées de sel et d’épices, un café à l’œuf ou des criquets frits. Je me complaisais d’être si loin de chez moi, en un lieu qui pourtant me paraissait familier, parce qu’il y avait cette langue, cette culture, ces odeurs, ces saveurs que je connaissais déjà si bien. Je m’amusais de situations invraisemblables – les Vietnamiens qui font la sieste allongés sur leur moto, ou encore une vieille Hanoïenne qui donne une tape sur les fesses de ma tante parce que celle-ci l’a bousculée avec son sac en montant dans le bus.


J’étais fascinée par la pluie de la mousson, qui rafraîchit les chaudes journées d’été à Saigon ou qui est soudain tombée à verse un après-midi où je me promenais le long du lac de l’Ouest à Hanoi. Je me plaisais à deviner la météo de la journée en me fiant aux libellules – on dit que si elles volent bas, c’est qu’il va sûrement pleuvoir…





Tandis que mon voyage touchait à sa fin, un soir où la pluie tardait à tomber et où nous étions réunis dehors autour de la table pour fêter le départ de certains (Pendant mon voyage, j’ai notamment vécu dans la province de Hải Dương pendant trois semaines au sein d’un groupe d’une quinzaine de personnes), on me proposa de prononcer quelques mots d’au revoir et j’acceptai de me prendre au jeu. Je me mis à tirer les conclusions de mon voyage à voix haute, tout en me remémorant en pensée les journées que j’avais vécues ici. Je songeais à l’image confuse que j’avais du Vietnam avant de venir ici, la peine que je ressentais à être vietnamienne, et je me rappelais les premiers jours que j’avais passés à découvrir Saigon, mon émerveillement lorsque je quittai l’aéroport pour gagner le centre-ville, et comme cela ne ressemblait en rien à tout ce que j’avais pu imaginer jusqu’alors. Je laissais les souvenirs m’envahir, et je les voyais petit à petit s’amonceler dans mon esprit et se mêler aux doutes que j’avais avant de faire ce voyage. C’était tout cela mon Vietnam, à la fois l’histoire de mes parents, la culture dans laquelle j’avais grandi, ce que j’avais appris, mes doutes existentiels, mon voyage et la quête de mes racines. En explorant des petits bouts de terre vietnamienne et en côtoyant les âmes qui l’habitaient, j’avais pu me réconcilier avec cette partie de moi, cette étrangère incomprise, qui vivait auparavant isolée du reste de moi-même. Elle était mon Vietnam, et je me mis à pleurer lorsque je réalisai que mon Vietnam n’était plus un inconnu mais un compagnon dont j’acceptais enfin l’existence dans ma vie.




Un moment plus tard, après mon discours, j’aperçus une libellule qui s’était posée sur mon bras sans même que je la voie. Je ne la reconnus pas sur le coup alors j’en fus effrayée (j’ai une peur bleue des insectes), et au moment où j’appelais à l’aide – la libellule n’ayant toujours pas bougé d’un millimètre, elle s’envola soudain. La libellule n’était plus là et je me rappelais alors que je ne risquais rien… Quelques instants plus tard, une autre libellule se posa de nouveau sur moi, et cette fois je la contemplai, mi-surprise mi-amusée, juste le temps de quelques secondes car le mouvement de quelqu’un la surprit et elle s’envola aussitôt.


Tandis que les deux libellules continuaient de m’occuper l’esprit, je me rappelai soudain ce que m’avait raconté ma tante suite à la cérémonie, dans une pagode de Saigon, des quarante-neuf jours du décès de mon oncle et à laquelle je l’avais accompagnée prier (bien que je ne sois moi-même pas croyante). Ma tante est très réceptive aux fantômes et elle avait déjà eu l’occasion de me raconter ses multiples rencontres surnaturelles passées. Cette fois-là, elle me raconta les rencontres qu’elle avait eues avec l’esprit de mon oncle. Quelques jours avant son décès, alors qu’il se trouvait sur son lit d’hôpital et qu’il était rongé par la maladie, elle l’avait vu en rêve et elle avait compris qu’il venait lui dire au revoir. Puis, lors des funérailles, un papillon s’était posé sur son front et elle y avait vu son frère lui faire un baiser pour la remercier.


Je ne sais pourquoi à ce moment-là, tout comme ma tante, je ne pus m’empêcher de voir dans ces deux libellules une signification merveilleuse. J’avais l’intuition qu’elles incarnaient la terre de mes origines, comme si le Vietnam avait pris la forme d’un esprit et qu’il me rendait visite. Il venait me réconforter, après les doutes et les larmes, et je ressentais sa bienveillance m’envahir, le même genre de bienveillance qu’un grand-père éprouverait pour sa petite-fille. Je n’en avais eu qu’un aperçu, mais j’avais enfin la preuve tangible de son existence dans mon cœur, et chacun de mes cinq sens en conserverait le souvenir. Tandis que mon voyage s’achevait et que je m’apprêtais à rentrer chez moi, je tendais l’oreille, et je l’entendais me murmurer des mots d’au revoir :


« Ravi d’avoir fait ta connaissance. A notre prochaine rencontre. »



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